vivre de son art

  • Vivre de son art... un rêve ou un cauchemar ?

    Ô qu'il est doux d'entendre les remarques très souvent bienveillantes des personnes qui posent un regard sur votre travail.... à chaque fois cela me touche et me donne confiance. Sur les marchés, à l'atelier, sur Facebook, j'ai la chance d'être complimentée et je me dis alors que je ne me trompe pas, puisque ce que je fais n'a de sens que si vous y trouvez vous-même un écho. Merci, vous êtes ma force motrice.

    Mais j'ai un problème à résoudre (ça ne va pas vous faire rire mais allez jusqu'au bout) :
    - Soit une potière qui passe un temps T pour fabriquer une pièce X.
    - Au temps T qu'elle passe elle doit ajouter de la matière première M
    - Elle doit également ajouter des frais divers et incompressibles F (ha, ce petit four électrique que j'adore et qui cuit 2 X 6 heures chacune de mes pièces.... et les déplacements, transport, frais de marché ou commissions en magasin, et comme tout le monde taxes et impôts).
    La pièce X devrait est ensuite mise en vente.
    Le prix de vente de la pièce X devrait théoriquement être légèrement au dessus de son coût soit de  la somme T+M+F (ce que l'on pourrait appeler un bénéfice et qui permet de réinvestir, et accessoirement manger)
    Vous me suivez jusque-là ?

    J'ai noté mes temps et estimé mes coûts. Je vais prendre l'exemple tout simple d'un mug que je vends 10 € : j'y passe en temps environ 45 mn (travail terre, tournage, tournassage, décor, émaillage, manipulations four). J'y mets de la terre, des oxydes, de l'émail, puis je le mets 2 fois dans un four qui consomme de l'électricité. Une fois vendu, je reverse les taxes aux RSI. Je fais grâce des proratas impôts et frais de fonctionnement, mais disons qu'à la louche, sans compter le temps de travail, il doit bien y avoir 5 € d'investissement/dépenses dans ces 10 € de mug. Cela signifie que je me vends à 5 € les 3/4 d'heure,  soir environ 6.66 € de l'heure - diabolique, non - ? (sans compter les temps passés pour le vendre sur les marchés ou ailleurs). Rappelons au lecteur adoré que le smic horaire brut actuelle est à 9.76 € soit 7.58 € nets.

    Or on trouve de très jolis mugs à 2.50 € un peu partout.... et je ne parle pas des théières. Par exemple, combien vais-je pouvoir vendre mon dernier exercice (la petite théière solo), qui me prend 2 heures de travail? Si je la propose à 45€, je m'y retrouve à peu près à condition de ne pas avoir d'intermédiaire (à l'heure actuelle, je vends mes théières entre 38 et 50 € selon la contenance et le type de déco).  45 € bruts je rappelle. Mais qui va acheter sans hésiter ? Je comprends très bien qu'on tergiverses à ce prix-là, voire qu'on la trouve chère ! 

    Je ne cherche pas à vous faire pleurer : je cherche juste à résoudre cette équation. N'étant pas une machine, j'ai besoin de temps pour fabriquer, et je ne fais jamais 2 fois la même pièce. E je ne fais pas entrer dans mes calculs une autre valeur : celle de la création. Une machine débite, un artisan crée. L'objet artisanal est toujours unique, vous pourrez chercher son double partout dans le monde, vous ne le trouverez pas parce qu'il n'existe pas. Et ça, ça n'a pas de prix. Moi je trouve plutôt cool de pouvoir servir mon thé dans une théière à nulle autre pareille. Oui, elle est plus chère que celle que je trouverais à Ikéa, Maison du Monde, ou chez Gifi. Mais elle a été pensée, une personne s'est concentrée sur elle seule pendant le temps nécessaire à sa création, elle porte un petit bout d'âme humaine lorsque les autres ne sont que l'aboutissement d'une chaîne commerciale internationale.

    Je sais que vous qui me lisez, vous faites partie des personnes conscientes de ce que je viens d'exposer. Vous êtes également celles et ceux qui m'encouragent à continuer, avec vos appréciations, like, et mots gentils. En fait j'aimerais que ce message entre aussi petit à petit dans d'autres têtes....

    Voilà, c'était ma petite réflexion du jour qui, en vérité, occupe bien mes insomnies. Car si je suis heureuse de créer; heureuse que vous m'aimiez au travers de mes pièces, je ne suis pas sûre de pouvoir continuer longtemps à faire ce métier qui me va comme un gant, fait sur mesure bien sûr....